mardi 29 mai 2012

Un témoin occulaire raconte


Ce témoin c'est Jacques Aimé Péray. Il  est né à Luçon le 20 fructidor an IV (Aout 1795).  Sa vie étonnante il l'a racontée dans ses mémoires posthumes publiées par son arrière petit fils aux Editions Seghers en 1991 sous le titre :"La Chapelier Pirate".

Il est arrivé comme homme de troupe le 19 janvier 1820 à la Martinique.  C'est un jeune que la révolution et les guerres n'ont pas épargné et qui s'y est battu. Ayant quitté l'armé, il n'hésite pas à s'établir à Fort Royal, ouvertement avec une jeune mulâtresse libre appelée Laguiote avec laquelle il va s'associer et dont précisément il aura une fille en cette année 1823. "Je l'autorise à joindre à son nom mon nom Péray, mais à l'Etat Civil mon nom ne peut figurer."   Il est l'un de ces hommes de la Garde nationale envoyés pour mater la révolte.  Si son récit est approximatif sur ce qu'il n'a pas vu lui même  ou sur les nombres, souvent plein de préjugés,  sa description  de cette campagne, des pratiques chargées de créer la terreur et de l'exécution des révoltés relève d'un vécu qu'il a du mal à assumer.

Son témoignage.

"La première révolte que j'ai connue commença en 1822 au Carbet, commune peu éloignée de Saint Pierre.  Des esclaves commençèrent par massacrer leur maître, M. Ganat, et sa famille. de là, ils se portèrent sur l'habitation Fizel. L'atelier de celui-ci se joignit à celui de Ganat. Ils massacrèrent tous les blancs. Ils parcoururent deux ou trois propriétés et ces ateliers réunis formaient trois ou quatre mille nègres. Fort heureusement , dans chaque habitation, ils avaient vidé les caves et, pris presque tous de boisson, étaient ivres à ne plus pouvoir marcher. Sans les boissons, dans cette même nuit, ils auraient pu parcourir un tiers de la colonie, se réunir au nombre de plus de vingt mille et détruire les trois quart des Blancs.

Au petit jour arrive à Saint Pierre l'annonce de cette lugubre révolte. Aussitôt, on expédie deux mille hommes de troupe au devant d'eux qui leur barrent le passage; ils se dispersent, se réfugient dans les bois des Trois-Pitons. On fait en sorte de les y cerner. Ordre du Gouverneur de faire marcher toute la garde nationale de la Colonie. J'en fait partie. J'attrape uniforme, fusil, giberne; de nouveau me voici soldat. La cavalerie cerne une partie des montagnes, nous autres grenadiers entourons celles où les massacres ont eu lieu. J'ai laissé à ma bonne Laguiote mon argent et les clés du magasin.

En arrivant à destination , après deux heures de marche dans ces montagnes nous sommes rompus. Notre commandant en chef, un vieux colon, M. de Percin, établit son camp sur l'habitation Fizel, les secondes victimes de ces massacres. Il est connu dans toutes les colonies des Antilles comme le plus brave de tous les créoles. En 1809, après un an de siège, les anglais avaient pris la Martinique. Percin avec dix ou douze nègres dévoués, prit une batterie forte de quarante hommes bien armés. Pistolets en ceinture, ses douze nègres armés chacun d'un coutelas, ils grimpent sur les murs et, sans que les quarante artilleurs anglais s'en rendent compte en hachent par morceau la moitié. L'autre moitié se rend à Perci. Il cloue les six pièces de canon. Le capitaine anglais a la vie sauve avec ce qui lui reste d'hommes.  De ce jour Percin fut baptisé Percin-Canon...

Nous voilà à mi-hauteur des Trois Pitons, sous le commandement de M de Percin-Canon. Notre capitaine M. de Croissant est un homme des plus doux. Grenadiers voltigeurs formons trois camps. Je suis dans celui de l'habitation Ganat, celle où a commencé le massacre. la cervelle du père de famille est encore toute fraiche, collée à la cloison. C'était son commandeur , c'est-à-dire celui qui a la haute main sur les autres esclaves, qui l'avait lui même tué. ...nous voilà opposés à au moins quatre mille nègres. Nuit et jour dix ou douze, il faut entrer dans les cannes à sucre, les halliers, les bois, les ravins.

Les révoltés n'ont pas d'armes à feu, mais tous ont un coutelas qui coupent comme un rasoir. C'est un sabre.  Si, sur une habitation de planteurs, il y a quatre cent esclaves, il y a quatre cent sabres et deux blancs seulement. Propriétaire et économe suffisent pour maintenir ce personnel et même lui infliger des corrections comme à des chiens. un étranger qui assiste à ces vingt neuf coups de fouet se demande s'il peut accepter l'hospitalité du planteur sans être assassiné par une force de sept à huit cent bras armés.

J'en reviens à nos patrouilles. Il nous arrive de tomber sur trois ou quatre nègres qui, sans beaucoup de résistance se laissent prendre. Nous les amenons devant le commandant Percin-Canon avec lui, il y a trois ou quatre cent négresses qui appartiennent aux planteurs assassinés. Ces femmes connaissent tous les noirs qui ont sévi sur les familles massacrées. Ce sont elles qui font condamner à mort ceux qui ont trempé dans ces crimes. Percin les condamne à être immédiatement fusillés. A genoux, huit balles les traversent. Aussitôt tombés, il leur fait trancher la tête. Un arbre de quinze mètres droit comme un mât de hune d'un fort navire, le bout taillé en pointe, la tête plantée dessus, est dressée. On voit les têtes à quatre ou six kilomètres. Ces mats sont placés à chaque carrefour des chemins. Le lendemain, ces têtes ainsi plantées sont affreuses - la langue ressort de la bouche, tombant sur le côté, de la longueur d'une fourchette - et d'autant plus effrayantes à voir qu'elles sont noires; les esclaves révoltés sont dans trois hautes montagnes et bien certainement ils doivent les apercevoir.

Le pauvre nègre, fort heureusement pour les blancs, n'est ni entreprenant ...Si ces malheureux nègres avaient eu l'intelligence de se réunir et de tomber la nuit sur nous qui n'étions que deux cents, divisés en trois camps, pas un garde national n'en revenait.

Percin-Canon, voyant que tous ces malheureux allaient mourir dans les montagnes plutôt que de se rendre, leur envoya en députation deux ou trois cent négresses chargées de vivres, avec mission de afire savoir que tous ceux dont ne pourra prouver qu'ils ont fait main basse sur les blancs seront graciés et s'en retourneront dans leurs habitations respectives sans être recherchés pour le passé ni battus. Mais aussi que tous ceux qui, avec leur coutelas, auront porté des coups seront, sans rémission, fusillés ou pendus.

Les négresses leur livre les vivres. Ils tombent dessus ....Cette pacification a son plein effet. Les trois ou quatre cent femmes ramènent avec elles plus de mille  nègres. Ceux qui n'étaient pas présent mais qui apprennent la démarche de ces parlementaires se rendent devant Percin, par groupes de vingt ou trente. Il leur fait donner à manger, les raisonne et les renvoie chez eux, chacun muni d'un petit papier pour leur maître.   

Plusieurs de ces graciés disent que, si leurs chefs avaient su que nous étions aussi peu nombreux, ils nous seraient tous tombés sur le dos, mais ils se figuraient que les garnisons de Saint Pierre et de Fort de France étaient également à leurs trousses, au nombre de trois mille.

Les hommes de couleur libres n'avaient pas bougé des villes, ils y travaillaient les esclaves à se révolter contre ceux de la campagne. Cette crainte fit que toutes les troupes ne sortirent pas des deux principales villes de Saint-Pierre et de Fort-Royal. ...tous les révoltés sauf ceux qui ont tués des Blancs, se rendent. Il nous faut rester campés jusqu'à ce que le dernier de nègres coupables soit tué ou fait prisonnier. ...Il sont au moins cent.

De nuit comme de jour, pendant quinze jours, nous faisons des patrouilles très pénibles, éloignées souvent de trois ou quatre kilomètres du camp. Au petit jour, nous avons sur les épaules une pluie torrentielle. Au petit jour, nous apercevons un grand nègre presque nu. Deux guides nous crient : " cé Piè !" (c'est Pierre). Il a un coutelas à la main, il ne nous voit pas, mais il a entendu crier son nom. Nous le mettons en joue, les coups de nos fusils, mouillés toute la nuit, ratent sauf le mien. presque au hasard j'ai tiré sur lui; est il blessé, ne l'est il pas ?  Il se jette dans une pièce de canne à sucre et disparaît. Nous l'y cherchons. Il est déjà probablement dans les bois. 

Pierre est intélligent, audacieux, courageux, d'une taille de géant. C'est le commandeur de feu Ganat, assassiné par son principal esclave. On craint ce nègre hercule. Nous ne devons quitter cette campagne qu'au moment où Pierre sera tué ou capturé. Deux jours se passent. Pierre est cerné par l'atelier de  l'habitation Pécoul, il est acculé du côté de la mer, sur une montagne à pic, la mer en baigne le pied, avec un précipice d'au moins quatre-vingts mètres.  Il faut que Pierre se rende ou qu'il se laisse aller dans le vide. 

Le géreur avec ceux de l'atelier Pécoul, arrive sur lui, veut le saisir, Pierre tient un petit arbre qui borde le précipice, le géreur est à la distance de son bras. Pierre le croche par le pan de son habit et se lance dans le gouffre, croyant l'entraîner  avec lui, mais le géreur s'est accroché au petit arbre. Pierre n'emporte avec lui que le morceau de l'habit ... qui s'est déchiré. Pierre a du se briser sur les rochers. pour aller le recueillir, à droite ou a gauche, il faut faire au moins deux kilomètres. La nouvelle de ce drame n'arrive à notre camp qu'une heure après. Ordre est donné à notre capitaine qu'aussitôt que Pierre serait mort ou pris nous reviendrons à Saint Pierre. En avant, sac au dos, fusil sur l'épaule, Percin-canonà cheval en tête, nous voilà en route.

Nous ne rencontrons pas de nègres vivants, mais au moins cinquante tête de ces malheureux au bout de ces hideux mâts de cocagne. Après deux heures de marche, nous arrivons au biourg du Carbet.  Sur la place de l' Eglise, le terrible Pierre est étendu sur l'herbe, la figure écrasée, les membres disloqués. Mes camarades remarquent une entaille à l'épaule, à moitié cicratisée. Comme nul autre que moi n'a eu l'occasion de faire feu sur lui, cette blessure est donc la mienne. Je me réjouis de le l'avoir que blessé et non tué moi-même.  ...

Nous arrivons à saint Pierre, ...Nous visitons toutes les maisons des hommes de couleur libres, et quelques uns vont en prison.  Nous restons dans cette ville deux jours; le troisième, sous les armes, nous assistons à un drame qui n'a jamais été représenté sur un thèâtre.

Place Bertin, sur laquelle chaque jour se tient la bourse du commerce, deux poteaux sont plantés dans le sable à une distance de dix mètres l'un de l'autre, et à deux mètres de la mer. Su la tête de ces poteaux est appuyé un chevron, ce qui forme un portail ouvert. Une échelle est appuyée sur l'un des deux côtés . A quatre mètres de cette potence se trouve une plate-forme en bois sur laquelle sont montés deux billots. Une hache d'une largeur de la taille d'au moins quarante centimètres est piquée sur l'un de ces billots.

Grenadiers et voltigeurs, sur deux rangs, faisons face à ces lugubres appareils. Je me trouve vis-à-vis à vingt mètres de distance mais au second rang. Il est neuf heures du matin, nous entendons un son de caisse qui annonce la sortie de la prison de vingt et un Noirs. Un aumônier les accompagne. Ces malheureux vocifèrent contre Mulâtres et Blancs. Ils arrivent au pied de ces échafauds. On en fait monter un, on lui place le poignet droit sur le premier plus petit billot, et avec la hache, on lui fait sauter la main à deux mètres de distance? On amène ce manchot sur l'autre billot, et le même bourreau fait tomber la tête.

J'ai vu le premier ; avec horreur je baisse la visière de mon shako et, comme je suis au second rang, le dos de mon voisin me sert de mur pour ne plus rien voir de cette boucherie. Jusqu'au septième, on procède comme pour le premier, pas un de ces hommes n'a poussé ni un cri ni montré la moindre faiblesse. 

Ces sept  poignets abattus, ces sept têtes tranchées, on passe à ceux qui doivent être pendus.  Le bourreau, qui est noir, appui son échelle à la traverse, échelon par échelon monte et fait suivre, un échelon plus bas, le patient. A la hauteur voulue, il défait la corde qui pend derrière son cou, le noeud coulant est déjà passé. le boureau attache le bout à la traverse, pousse rudement le malheureux, qui va dans le vide. Et celui-là jusqu'au quatorzième.

La loi exceptionnelle de nos deux colonies françaises portait que tout esclave qui avait fait main basse sur ses maîtres était passible de la même peine que les parricides.

Les exécutions finies, nous nous embarquons pour rentrer dans nos pénates....

J'arrive chez ma chère Laguiote qui, de plaisir, verse des larmes. Jamais je ne l'ai vue aussi jolie..."





vendredi 27 février 2009

Extrait des mémoires de Cacqueray en six volumes

Le présent document pour servir aux chercheurs est extrait des mémoires de Charles Cacqueray de Valménier en six volumes.

Exécution des révoltés, leur courage

Le Procureur qui craint que les exécutions ne durent trop longtemps avec un seul bourreau "je voulus essayer si l'espoir de sa grace ne déciderait pas un des condamnés, non assassin, à accepter les fonctions d'exécuteur. Au moment où l'exécution des condamnés à la potence allait commencer, j'envoyais le commis à la police leur proposer la grâce de celui qui consentirait à être bourreau. Tous refusèrent sans hésiter.

Lorsqu'il en eut un certain nombre de pendus, supposant que ceux qui restaient pouvaient être intimidés par cet affreux spectacle, j'envoyais le même commis à la police faire une nouvelle tentative mais, aussi inutilement et, tous marchèrent à la mort sans qu'un seul voulut racheter sa vie par l'acceptation de ces fonctions déshonorantes.
Les sept assassins subirent de même leur peine avec courage, ou plutôt une apathie vraiment effrayante.

Il n'y eut pas un seul homme de couleur libre compromis dans le complot. Un des chef indiqua "moun esclaves tous purs".

Sur 62 prévenus, 21 sont condamnés à mort

Les arrestations de 61 prévenus sont intervenues. L'instruction est achevée le 12 novembre 1822. Du 14 au 16 novembre 1822 la Cour se réunit et condamne 7 révoltés à avoir le poignet et la tête coupés pour avoir porté les coups mortels; 1' à être pendus, et 11 à être fouétés marqués et expédiés aux galères. L'exécution est prévue le 19 novembre à Saint Pierre.

La Garde Nationale est envoyée au Carbet

La Garde Nationale commandée par monsieur de la Guigneraye est envoyée le 13 au Carbet. Le 14 deux compagnies du 2° bataillon furent envoyées à Saint Pierre. Trois compagnies de Milice sont envoyée à Fond Capot et une compagnie de Dragons à Case Pilote. Le 21 l'instruction du complot est confiée à une Commission de la Cour Royale.

Mort du sieur Saint Ganat puis de monsieur Fizal

Dans la nuit du 12 au 13 octobre 1822, le sieur Saint Ganat est tué semble t'il par son fils natureldans son habitation sur les hauteurs du Carbet. Un second habitant blanc monsieur Fizal (en réalité nommé Fizel) est lui aussi tué et ses deux fils blessés. Les révoltés se portent sur l'habitation de madame Lévignan qui est gravement blessée.

La révolte du Carbet éclate 12 octobre 1822

Ceci est un tiré à part destiné aux chercheurs, pour compléter le travail réalisé par G Mauvois sur la Révolte du Carbet.

La révolte du Carbet éclate la nuit du 12 au 13 octobre 1822. Voilà ce qu'en écrit le tout nouveau Député de la Martinique et Procureur du Roi Charles Cacquerey de Valménier.